Disparue en décembre 2021 à l’âge de 86 ans, April Ashley, actrice et mannequin britannique est une pionnière de la lutte pour les droits des personnes transgenres.
Deuxième personne à avoir changé de genre au Royaume Uni, April Ashley avait dû quitter son pays pendant plus de 30 ans à cause de discriminations qu’elle subissait. Qui était cette figure trans militante ?
Une enfance difficile
Née dans une famille ouvrière de Liverpool, April Ashley vit une enfance difficile avec ses 5 frères et soeurs maltraités par un père alcoolique et une mère qui les bat. Mal à l’aise dans son corps et dans son genre, souffrant de plusieurs maladies et abusée sexuellement, April va vite se sentir différente. Vers 15 ans elle remarque qu’elle ne se développait pas comme un garçon.
« Je n’avais pas de pilosité faciale et ma voix n’avait pas mué. J’ai essayé de m’intégrer, j’ai regardé tous les films de Robert Mitchum et j’ai essayé de copier sa démarche, mais c’était ridicule. J’étais cette fille piégée dans un corps qui n’était ni garçon ni fille. Et tout le monde pensait que j’étais folle. »
A cet âge là, cette « différence » lui vaut d’être victime de violence pendant toute sa scolarité. April Ashley rejoindra même la marine marchande pour tenter de rentrer dans l’image masculine imposée par la société. Mais là encore, elle sera la cible de violences transphobes qui la mèneront à une tentative de suicide. C’est une seconde tentative à 17 ans qui la mènera dans une institution psychiatrique où elle sera maltraitée. Traitement hormonal, électrochocs et maintient dans son lit en étant ligotée. Malgré ce qui lui est infligé, à sa sortie elle va commencer à se travestir et se rend à Paris dans les années 50. Elle rejoindra notamment la troupe du cabaret le Carrousel sous le nom d’April E. Elle se sent enfin acceptée quelque part.
La transition d’April Ashley
Elle poursuivra ensuite sa transition par une chirurgie de réattribution sexuelle au Maroc en 1960. Un moment crucial qui, malgré des suites opératoires difficiles, lui apportera une grande satisfaction.
« J’ai toujours eu ce pouvoir incroyable sur les hommes. Ils tombaient à mes pieds, même quand j’étais un garçon. Maintenant, j’avais les outils, si vous voulez, pour en tirer le meilleur parti. C’était le sentiment le plus merveilleux. »
De retour en Angleterre, elle commence à se faire appeler April Ashley et devient mannequin lingerie. Elle pose pour les plus grands magazines (comme Vogue). Elle commence à obtenir de petits rôles au cinéma mais sera outée par un ami en 1961 qui vendra son histoire à un tabloïd. Au coeur du scandale, elle perd alors tous ses contrats et se voit fermer les portes de l’industrie de la mode et du cinéma. Mais elle devient une socialiste qui attire toutes les curiosités. « Les gens me suppliaient d’aller au lit avec eux. Toute l’aristocratie. Je savais que lorsque j’entrais dans une pièce, tout s’arrêtait. […] Tout le monde voulait rencontrer le monstre. ». Adepte des scandales sexuels, elles fait alors régulièrement les gros titres de la presse people. Elle en profite pour renforcer sa célébrité.
Sa bataille pour la reconnaissance sociale des personnes transgenres
C’est suite à son mariage express en 1963 avec un futur baron (lui-même travesti) qu’elle va commencer à s’engager dans la lutte pour les droits des personnes transgenres. En effet, le mariage tourne court après 2 semaines. Son époux le fera annuler au motif que sa femme était assignée homme à la naissance. En accédant à sa requête, le tribunal créé alors un précédent juridique. Ce dernier sera utilisé dans de nombreuses procédures d’annulation de mariages jugés non conformes. Motif ? Ils ont été contractés par des personnes ayant subi un changement de genre.
C’est donc à ce moment qu’April décide de se lancer dans une longue campagne pour la reconnaissance juridique et sociale de la transidentité. Elle se sentira en effet un peu responsable de ces annulations. D’ailleurs, elle regrettera la cruauté et la souffrance causée à de nombreuses personnes suite à ce divorce. Il faudra attendre 2002 pour que les personnes transgenres obtiennent une reconnaissance légale complète. Une évolution encore trop lente.
April Ashley se battra pendant tout le reste de sa vie et sera une figure du milieu, toujours interrogée par les médias sur les questions de genre et de transidentités.
En effet après s’être expatriée plusieurs années aux Etats-Unis et avoir écrit sa première auto-biographie, elle poursuivra activement sa campagne à son retour au Royaume Uni au début des années 2000. Elle devient la figure d’un mouvement militant de grande ampleur avec une bataille menée par des juristes militants qui appellent à dépasser les considérations biologiques pour intégrer des considérations sociales et psychologiques. Les lois vont alors évoluer avec notamment le Gender Recognition Art en 2004 qui permet aux personnes souffrant de dysphorie de genre de changer leur sexe légal. Elle est enfin reconnue comme femme en 2005 et obtient un nouveau certificat de naissance avec un genre féminin.
En 2006 elle publie une seconde autobiographie, se permettant de dire plus de choses qu’en 1982 (date de la sortie de son premier livre). Elle est alors invitée sur de nombreux plateaux télé pour raconter son histoire. Elle y raconte notamment les aventures qu’elle a eues avec des stars du cinéma, de la musique ou du monde de l’art. Cette militante chevronnée recevra également une réelle reconnaissance de la part de plusieurs administrations. En 2012, elle est décorée par le prince Charles pour son action en faveur des droits des personnes transgenres lors d’une cérémonie où elle sera faite membre de l’ordre de l’Empire britannique. April sera au coeur d’une exposition concernant l’expérience transgenre à Liverpool. Elle recevra un doctorat honoris causa en droit à l’université de Liverpool pour son travail sur l’égalité transgenre au Royaume Uni.
« Je sais mieux que quiconque comment les gens peuvent juger, mais tout ce qui compte, c’est d’être fidèle à soi-même », avait-elle déclaré au cours des Birthday Honorous de 2012.
De belles récompenses pour cette femme engagée toute sa vie pour la reconnaissance des personnes transgenres. Elle restera une figure du milieu et une pionnière du militantisme trans.