Honey Dijon (DJ, productrice de musique électro et icône de mode)

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Si vous êtes adepte du Dance Floor et adorez la scène, les artistes et les boites de nuit, vous connaissez probablement la DJ américaine transgenre Honey Dijon, qui arpente les pistes depuis plus de 20 ans… 

 

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New York ou Berlin, house ou techno, féminine ou masculine, douce ou piquante, radicale ou mesurée, impossible est d’enfermer Honey Dijon dans une case. Depuis une vingtaine d’années, Honey Dijon s’est affirmée à la fois comme une des meilleures DJ’s d’un axe imaginaire qui relierait Chicago et New York, comme une égérie courtisée par la mode et comme une activiste transgenre. Cette DJ égérie des fashion weeks signait à Paris la bande-son du défilé événement Louis Vuitton x Supreme et embrasait la soirée Faith Connexion x Antidote en 2017.

DJ américaine, productrice électro et icône de la mode, Honey Dijon, de son vrai nom Honey Redmond, a récemment confié dans une interview au magazine culturel Antidote à propos de la mode : “Il n’y a pas qu’une seule façon d’être trans et j’ai l’opportunité de me façonner mon propre genre. (…) Mais où sont les photographes trans, les make-up artists trans, les stylistes trans, ceux-là même qui pourraient témoigner de leur propre expérience et véhiculer un message juste ? J’aimerais qu’un homme trans crée pour les hommes, à quoi ses collections ressembleraient-elles ?”.

Rencontre avec une femme hors du commun, Honey Dijon.

 

Comment es-tu devenue DJ ?

La musique a toujours fait partie intégrante de ma vie, jusqu’aussi loin que je m’en souvienne. J’ai toujours voulu passer des disques. Mes parents m’ont eu plutôt jeune, ils improvisaient souvent de petites soirées et ils me demandaient de m’occuper de la musique avant d’aller au lit. Je m’occupais déjà de faire le warm-up avant même que je ne sache ce que cela voulait dire. J’ai toujours été excitée à l’idée de partager ma musique avec les autres.

 

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Puis à l’école, nous avions des DJ à la place des traditionnels groupes et tout cela m’a rapidement fascinée. J’étais aussi vraiment attirée par la façon que les artistes avaient de faire entendre leur musique. Et il se trouve que je suis née à un moment où un mouvement culturel que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de House était en ébullition. J’ai commencé à sortir en club, j’ai d’abord été danseuse, puis DJ. Je me suis mise à collectionner les vinyles afin de pouvoir toujours disposer de ma musique. Quand j’ai quitté Chicago pour m’installer à New York, j’y ai trouvé la musique vraiment divisée. À Chicago, ce n’était pas le cas. Peu importait quel genre de musique vous jouiez, que ce soit du disco, de la soul, de la techno, de l’électro ou de la pop, tant que le set fonctionnait. J’ai commencé à me produire à New York par nécessité, j’avais déjà un réseau dans la nuit new-yorkaise que j’avais construit à l’époque où j’étais danseuse. J’ai fait des mix que j’ai envoyés à des organisateurs, et puis ça a fait l’effet boule de neige.

 

Tu es tombée comment dans la house music ?

J’ai la chance d’être née et avoir grandi à Chicago, le berceau de la house, au moment où ce mouvement musical et cette culture étaient en train de naître, au milieu des 80’s. La musique a joué un rôle prépondérant dans ma vie, mes parents en écoutaient beaucoup – de la soul, du r’n’b, du jazz et tout ce qui sortait des labels Motown ou Solar Records. La musique de l’époque était très riche et sociale, elle évoquait les luttes, l’amour, les expériences humaines. Vers 13 ans, je me suis débrouillée pour choper une fausse carte d’identité et j’ai commencé à sortir en club.

C’était la force de la house music à l’époque, les gens se réunissaient par amour et passion et non pas en fonction de leur orientation sexuelle ou de genre. Ce mélange m’a beaucoup marqué, la culture disco et pré-house était majoritairement composée de blacks, de latinos, de transsexuelles, de travestis, de gays et de femmes, des gens marginalisés par la culture mainstream et qui créaient et inventaient de tout pièce leur propre monde, leurs propres clubs, leur propre musique.

 

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Pourquoi avoir choisi ce nom de scène, Honey Dijon ?

C’est le résultat d’une grande consommation d’herbe, c’était une blague à vrai dire. Tout le monde m’appelait « Miss Honey Around Town » du temps où j’étais danseuse. Une publicité pour de la moutarde au miel est passée à la télévision et je cherchais un nom de DJ, un ami a mis Miss Honey Dijon sur un flyer et puis c’est resté. J’aimerais que ce soit un peu plus glamour à raconter mais c’est la plus pure vérité. Puis j’ai enlevé le « Miss » pour ne garder que « Honey Dijon » car je trouvais ça un peu trop formel et ça sonnait un peu vieux, trop propre. Et ceux qui me connaissent savent que j’ai un sens de l’humour très sarcastique et que je suis plutôt grossière, alors « Miss » n’était vraiment pas approprié car beaucoup trop guindé.

 

 

Pourquoi ne pas t’être contentée de Honey Redmond (ton vrai nom, ndlr) ?

Car ce n’est pas aussi accrocheur que Honey Dijon, n’est ce pas ?

 

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Qui est le premier créateur à t’avoir fait confiance ?

Le tout premier designer qui m’a fait jouer lors d’une afterparty est Narciso Rodriguez après son défilé de New York. J’ai aussi été invitée à faire les CFDA dans la foulée. Et c’est là que tout a véritablement commencé. J’ai rencontré beaucoup de monde, je jouais dans les clubs de downtown, aux soirées du magazine Visionaire. Hedi Slimane venait m’y écouter. C’était très souvent dans ce club, baptisé The Cock dans le nord est de la ville, où tout le monde allait. L’endroit était vraiment décadent à l’époque et pas mal fréquenté par des gens de la mode.

J’ai aussi fait la connaissance de Kim Jones et de Riccardo Tisci à ce moment, au début des années 2000. Je suis familière de genres de musiques assez différents, je suis plus connue pour jouer de la house et de la techno, mais je peux aussi faire de la disco, je ne suis pas contre la pop mais elle doit être profonde et sentimentale. Je ne joue pas de morceaux qui sont simplement populaires car, pour moi, populaire n’est pas synonyme de bon, cela signifie juste que c’est apprécié par beaucoup de monde. Et si j’en viens là, c’est parce que je pense que cette versatilité m’a permis de rencontrer le succès que je rencontre dans le monde de la mode. Je pense que je suis capable de connecter pas mal de gens d’horizons très différents.

 

Portais-tu alors un intérêt particulier à la mode ?

J’ai toujours porté un intérêt au style. Je n’aime pas tellement la mode en soi. Je pense que la mode se destine aux gens qui n’ont pas de personnalité. C’est génial pour les adolescents qui se cherchent. Le style est l’apanage de celui qui a des convictions, la mode est l’habit de celui qui cherche des réponses.

 

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Quels sont les designers dont tu te sentais proche ?

J’aime les créateurs authentiques. Je connais beaucoup de créateurs célèbres qui font un bon travail. Ce que j’aime chez Kim, c’est qu’il parvient vraiment à regrouper et infuser passionnellement dans ses collections toutes les sous-cultures qu’il aime – des clubs aux streetwear à « Paris is Burning ». Je suis une grande fan d’Azzedine Alaïa, Yves Saint Laurent… Mais au quotidien, je porte un short et un t-shirt. J’ai aussi commencé à faire mes propres vêtements parce que je m’intéresse au style dès lors qu’il est associé à un mouvement culturel. Par exemple, j’aime les seventies, et je pense que les créateurs y reviennent sans cesse, parce que ces vêtements rappellent un temps où les femmes s’émancipaient, les gays aussi, c’était la révolution sexuelle avant le sida. Vous aviez le disco, le punk, les débuts du hip hop.

C’est aussi valable pour les années soixante avec le début de la house et le mouvement hippie ou même après la seconde guerre mondiale quand la mode souffrait des fortes restrictions au niveau de l’utilisation des tissus. C’est là que Christian Dior a inventé le New Look. Et c’est très exactement ce qui m’intéresse dans la mode. J’ai accepté de travailler avec Faith Connexion pour cela. J’ai eu une connexion émotionnelle immédiate avec la marque qui mélange beaucoup de codes et d’imagerie actuels au sein d’une même silhouette, et je pense qu’à l’heure d’Instagram et de ces mashups géants, c’est un travail très pertinent.

 

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Quant à moi, je reste très attachée aux choses simples, je n’ai pas peur du mot « confortable », je suis un peu tomboy, un mix de masculin et de féminin. Je pense que les femmes sont sexy quand elles mélangent des habits d’homme et des vêtements de femme. Je ne suis pas « fifille », je n’aime pas tellement les longues robes, les talons et le maquillage. J’aime la beauté naturelle.

 

Avais-tu remarqué un changement dans la façon dont la mode embrasse les genres ? Penses-tu qu’il ne s’agisse que d’une tendance ?

Je pense que c’est en effet une tendance. Mais aussi que la mode reflète ce qui se passe dans la société. Je trouve finalement qu’elle est en retard sur ce sujet. L’évolution de la conception du genre soulève de nombreux questionnements. Mais ce débat est vraiment très occidental. Si vous allez en Asie ou en Afrique, les répartitions des rôles selon le genre sont toujours archaïques. Ce serait génial de voir un créateur trans exprimer à travers ses vêtements ce que c’est que d’être trans. Plutôt que toujours des gays ou des hétéros essayer de parler pour les trans. Je ne pense pas que les trans aient vraiment eu la parole. Nous cherchons toujours une sorte de validation de la part des autres pour pouvoir raconter nos histoires. Il serait génial d’avoir des artistes trans qui pourraient enfin partager notre vision.

 

 

Pour beaucoup de monde, les trans incarnent aussi souvent la caricature de la féminité ou de la masculinité, tu es pourtant bien loin de ce registre.

Les créateurs gays fonctionnent souvent étonnamment sur un schéma très binaire et traditionnel des genres. Certains envisagent toujours une femme hyper-féminine, et c’est d’après moi une vision très patriarcale de ce que sont les femmes. Les femmes ne sont pas maquillées, perchées sur des talons et habillées en robe toute la journée. Ces costumes qu’ils créent ne correspondent pas aux vraies femmes. Les femmes trans ont la chance de pouvoir apporter une nouvelle définition de ce qu’est la féminité et de ce dont elle prend la forme. Il n’y a pas qu’une seule façon d’être trans et j’ai l’opportunité de me façonner mon propre genre. C’est pour moi un ensemble de pièces rapportées et complexes, quand la mode joue avec des énergies plutôt archétypales pour séduire les masses.

 

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En ça, je ne pense pas que la mode embrasse vraiment les genres ni ce qu’être trans implique. Mais ils font de leur mieux avec les informations dont ils disposent pour refléter les bouleversements culturels. Mais où sont les photographes trans, les make-up artists trans, les stylistes trans, ceux-là même qui pourraient témoigner de leur propre expérience et véhiculer un message juste ? J’aimerais qu’un homme trans crée pour les hommes. À quoi ses collections ressembleraient-elles ?

 

Et pour toi qui es une femme trans, qu’est-ce que la féminité ?

Je n’en sais rien. Je ne connais que le langage que l’on m’a donné pour décrire ce que je pense. Et je crois fermement au fait que ce que l’on ne sait pas encore est très réel. Et que nous ne sommes capables de communiquer entre nous qu’avec le vocabulaire que nous partageons tous. La féminité ressemble donc pour moi à ce que l’on m’a montré jusqu’ici. Je pense que la féminité et la masculinité dépendent de chaque individu. Et je ne pense pas qu’il n’y ait qu’un unique mot pour les décrire. Je ne sais pas ce qu’est la féminité. Mais je sais en revanche ce qu’elle n’est pas.

 

Que n’est donc pas, d’après toi, la féminité ?

Ce n’est ni l’agression, ni la violence, ni l’oppression, ni la compétition, ni l’égo, ni la possession.

 

Quand as-tu réalisé que tu étais transgenre ?

J’ai grandi à une époque où il n’y avait pas tous ces débats sur la transidentité, il n’y avait même pas de terme pour nous définir. J’avais conscience d’être différente des autres enfants. Je n’étais pas gay non plus. Mais je ne posais pas de mots sur ma différence. Rien à voir avec aujourd’hui. Où tu n’es plus obligé de te définir par ton genre ou ton orientation sexuelle. Où le choix des possibles est large. J’ai vraiment commencé à assumer mon identité de genre lorsque j’ai déménagé à New York et que la communauté trans m’a accueilli et appris à m’accepter, m’a donné des conseils pour devenir ce que je suis aujourd’hui.

 

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Tu te sens militante ?

Plutôt agitatrice, je ne veux pas être un modèle mais une source de possibles. Je veux aider à changer la vie des gens. Leur manière de penser. Leur rapport aux autres. Et leur engagement dans la société. Je suis souvent en colère, quand on m’explique comment une femme transgenre doit se comporter, quand on me demande si je suis opérée ou pas. Je déteste la gentrication. Le consumérisme sans âme. L’injustice. L’oppression. Le patriarcat. Le sexisme. La misogynie. Le racisme. L’exploitation sexuelle. La liste est sans fin.

 

Qui sont les femmes qui t’ont inspirée ?

Meshell Ndegeocello, Sade, Grace Jones, Nona Hendryx, Patrice Rushen, Yvonne Turner… Je pense que Grace Jones est celle qui a eu le plus d’influence sur moi, musicalement mais aussi visuellement. C’était la première femme de couleur à ne pas exhiber de beauté conventionnelle. Elle était sombre, elle n’était pas douce, encore moins faible. Grace Jones était bizarre – et j’adore ça -, anguleuse, masculine. Elle m’a permis d’être moi-même car je n’ai jamais été traditionnellement séduisante. Et même aujourd’hui en tant que trans, je continue d’y réfléchir.

Les gens n’ont pas une approche conflictuelle de qui je suis. Car on ne se pose pas nécessairement la question de savoir si je suis transgenre. Et c’est en ça que je ne pense pas être très politique, dans le sens où je suis simplement quelqu’un qui a dépensé beaucoup d’argent pour être une jolie fille. J’ai la chance aujourd’hui d’avoir une plateforme pour dire tout cela. Mais encore beaucoup de femmes trans vivent dans l’éternel doute de savoir si les gens les regardent parce qu’elles sont juste de jolies femmes ou s’ils cherchent à deviner leur sexe de naissance. J’ai beaucoup de respect pour tous ces gens que l’on ne peut pas lire de façon évidente, ces filles ou ces garçons qui ne s’inscrivent pas dans les normes binaires de genre. Car, ça, c’est vraiment radical.

 

Tu subis toujours la transphobie aujourd’hui ?

Evidemment, tu te moques de moi ou quoi ? C’est toujours compliqué, souvent embarrassant et vexant. Je dois constamment faire face à des questions mal intentionnées. Comme savoir quelles parties de mon corps ont subi ou non une intervention chirurgicale. J’ai parfois l’impression qu’on me voit comme un être en pièces détachées et pas comme une entité globale. J’ai une bonne amie qui résume parfaitement la situation quand elle dit : « quand tu es une trans opérée ça ne va pas. Quand tu ne l’es pas ça ne va pas non plus ». Quoi qu’on fasse les gens ne sont jamais contents de toute manière !

 

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Merci Honey Dijon.

 

 

 

Interview réalisée par les webzines Antidote et Vice

 

 

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