Indianara : un documentaire sur la lutte trans

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Présenté à Cannes lors de l’ACID cette année, le documentaire franco-brésilien Indianara suit le parcours d’une femme trans dans sa quarantaine qui lutte pour défendre les personnes transgenres.

Une sélection alternative

L’ACID est une association créée en 1992 qui a pour but de s’attaquer aux inégalités d’exposition des films. Ils dénoncent un marché cinématographique où les 10 premiers films occupent chaque semaine 93% des écrans. Les cinéastes à l’origine du projet revendiquent l’inscription du cinéma indépendant dans l’action culturelle de proximité et s’emparent des enjeux liés à la diffusion des films. Dès 1993, ils ont décidé de proposer une sélection alternative à Cannes pendant le festival afin de «convaincre de la place légitime de tous les films au sein du marché».

Ces films de fictions et documentaires, parfois auto-produits, souvent des premiers longs métrages, sont choisis par les cinéastes avec la volonté de donner de la visibilité à des auteurs, souvent sans distributeur, afin de faciliter la sortie de leurs films en salles. Une démarche très importante qui va permettre également à des sujets moins mainstream d’avoir leur place dans le marché du film.

 

Une année bien remplie

Ainsi, cette année, ce sont 9 longs-métrages, fictions ou documentaires qui ont été sélectionnés par l’association. Parmi eux, le documentaire Indianara de Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa suit la lutte de personnage titre, une activiste trans brésilienne. Elle a décidé de rentrer en résistance dans un pays en proie à la menace totalitaire et d’œuvrer pour la survie des personnes transgenres.

Rappelons que le président Brésilien Jair Bolsonaro est connu pour ses convictions anti-LGBT. L’arrivée au pouvoir de cet homme qui a dit «Si tu veux venir ici et faire l’amour à une femme, fais ta vie, mais on ne peut pas laisser le pays devenir un paradis du tourisme gay. Nous avons des familles.»est filmée dans le documentaire. L’action se passe dans un refuge pour LGBT en situation de difficultés, la Casa Nem, à Rio. On y croise des personnes dans leur vie de tous les jours et on porte un regard décomplexé sur ces scènes de la vie quotidienne de ces personnes rejetées par leurs familles. Ce squat sera d’ailleurs fermé quelques jours plus tard avec évacuation forcée de ses occupants.

 

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Portrait d’une militante

Le personnage principal de ce documentaire est Indianara Siqueira, une femme trans flamboyante qui ne mâche pas ses mots. Elle est aussi suppléante à la mairie de Rio. Elle a décroché ce poste avec pour slogan «une pute au conseil municipal». Mais c’est surtout une femme pleine de charisme et aussi de colère. Elle est très sensible au sort des personnes en position de fragilité dans la société brésilienne.

Il faut savoir par exemple, que plus de 170 trans ont été assassinés en 2017. La coréalisatrice du documentaire raconte le véritable coup de cœur qu’elle a eu pour cette femme et son envie de mettre en avant son combat.  C’est en 2014 qu’elle l’a rencontrée pour un film qu’elle faisait sur la montée des évangéliques au pouvoir au Brésil. Chaque année, lors du jour de la fierté trans, la militante énonçait le nom de toutes les personnes transgenres qui avaient été assassinées dans l’année. La réalisatrice a alors été choquée doublement par ce moment. Outre le nombre impressionnant de noms à mentionner, c’est la posture d’Indianara, seins nus, un drapeau LGBT dans une main et un mégaphone dans l’autre, qui l’avait interpelée.

 

Une rencontre décisive

Deux ans plus tard, leurs chemins vont se recroiser à la même période. Et cette fois-ci, le petit attroupement de personnes venu y assister a laissé place à une foule plus importante. C’est alors que la militante avait confiée être déjà fatiguée. Aude et Marcelo ont donc ressenti un sentiment d’urgence à documenter son histoire et sa lutte. « Il y avait une sorte d’épuisement chez Indianara. Elle pensait à passer le relais à la jeune génération. Il faut savoir qu’au Brésil, l’âge moyen du décès d’une personne trans est de 33 ans. Elle en avait plus de 45 ».

La militante traîne un passé compliqué. Elle quitte sa famille à l’âge de 12 ans et change de sexe à 16 ans. Elle se prostituera pendant longtemps. Notamment à Paris où elle sera arrêtée et condamnée pour proxénétisme car elle hébergeait des collègues. Maintenant, elle est interdite de territoire sur le sol français. Ce qui l’a empêchée de venir soutenir la projection du documentaire à Cannes.

 

Les trans au cinéma, un exercice difficile

Au-delà de la sous-représentation des personnes LGBT, pendant très longtemps, un des plus grands problèmes aura été le fait que des personnes trans étaient incarnées au cinéma par des acteurs cisgenres (c’est-à-dire dont l’identité de genre est en accord avec le sexe assigné à sa naissance). On peut citer en exemple Laurence anyways (avec Melvil Poupaud dans le rôle de Laurence). Ou encore Boys don’t cry avec Hilary Swank dans le rôle de Brandon Teena (pour lequel elle aura un oscar). Puis en 2018, le film Girl est présenté en sélection « un certain regard » à Cannes. Il signera le retour à la question d’identité dans un registre dramatique. Et il remportera de nombreux prix (meilleure interprétation, la caméra d’or et la Queer Palm).

Néanmoins ce film ne fera pas l’unanimité du côté des associations LGBT. Certaines, comme Genres Pluriels regrettaient que le film ne représente pas la réalité des personnes trans. Et qu’il expose l’idée selon laquelle c’est la personne elle-même qui a des problèmes avec ses parties génitales. Et qu’elle souhaite se faire opérer alors que c’est la société qui devrait apprendre à être plus tolérante. D’ailleurs l’exemple à suivre toujours selon l’association, est celui de Sense 8. La série comme le film, réalisés par les sœurs Wachowski (elles-mêmes transgenres) mettent en scène des personnes transgenres sans que leurs transidentités ne soient le sujet principal.

 

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Des corps nus, symbole de la lutte politique

Si le film est militant (comment faire autrement en ayant passé 2 ans aux côté d’Indianara) les cinéastes ne voient pas en lui un plaidoyer visant à la défendre. Car « elle n’a besoin de personne pour se défendre ». C’est surtout le regard porté sur les personnes transgenres empreint d’engagement et d’acceptation qui donne au film cet aspect unique. Cela se voit aussi dans la façon de filmer les corps nus, de façon simple et directe. D’ailleurs à la question « comment filmer le corps trans », Aude Chevalier-Beaumel répond : « On filme le corps trans comme on filme un être humain ». C’est peut-être là, la clé de la réussite de ce documentaire.

 

 

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